Main-d’œuvre : lutte contre le travail au noir, aspects conjoncturels et libre circulation avec l’Union européenne
Lutte contre le travail au noir : le travail au noir échappe par définition aux statistiques officielles. L’enjeu donne cependant lieu à des estimations. En 2017, le travail au noir en Suisse a ainsi été chiffré entre 40 et 50 milliards de francs, soit quelque 7% du PIB[1]. L’ampleur de l’économie souterraine dans son ensemble est estimée à 7,1% du PIB en 2024[2]. En 2015, le Conseil fédéral a transmis aux Chambres fédérales un projet de modification de la loi fédérale sur le travail au noir. L’objectif était de mieux lutter contre ce fléau qui affecte particulièrement le secteur de la construction.
Le Parlement a adopté la révision en mars 2017, tout en la modifiant substantiellement. La nouvelle loi renforce quelque peu la marge de manœuvre de l’organe de contrôle ainsi que la collaboration et l’échange d’informations entre ce dernier et les autorités. Le Parlement a cependant refusé un régime de sanction des infractions prévu dans le projet initial du Conseil fédéral. Pour constructionromande, cette réforme ne va pas assez loin.
Politique conjoncturelle : lorsque l’activité conjoncturelle se rétracte, les travailleurs dont la durée de travail est réduite ou l’activité suspendue ont, en théorie du moins, droit à une indemnité de chômage en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) sous certaines conditions. En temps normal l’indemnité RHT n’est accordée dans le domaine de la construction que dans les cas suivants : baisse notable du carnet de commandes ou situation économique plus grave par rapport à la même période durant les deux dernières années. Ainsi, contrairement à d’autres secteurs comme l’horlogerie, la RHT n’est accordée qu’à titre exceptionnel. En parallèle à l’activité conjoncturelle, les entreprises de la construction sont également en première ligne des entreprises concernées par les interruptions de travail saisonnières liées aux conditions météorologiques, en particulier dans les cantons alpins[3]. Pour constructionromande, il est important de modifier le cadre légal de la RHT dans le domaine de la construction afin que les aspects conjoncturels soient mieux pris en compte, sur le modèle de la pratique dans d’autres branches économiques.
Libre circulation et relations avec l’Union européenne : le développement du secteur de la construction est intimement lié à la possibilité d’engager suffisamment de personnel compétent. Or, la diversité des qualifications requises et la situation actuelle du marché du travail forcent les entreprises à recruter tant en Suisse qu’à l’étranger. Le secteur de la construction emploie quelque 36% de main-d’œuvre étrangère. Qui plus est, avec 44% des frontaliers actifs en Suisse travaillant dans les cantons romands, l’économie de Suisse romande dans son ensemble est particulièrement dépendante de son accès à cette main-d’œuvre.
Dans ce contexte, les relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne, notamment l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), revêtent une importance centrale pour l’industrie de la construction. L’ALCP et les mesures d’accompagnement étaient directement concernés par le projet d’accord institutionnel négocié entre la Suisse et l’Union européenne. Le Conseil fédéral ayant décidé au printemps 2021 de ne pas signer cet accord et de mettre un terme aux négociations à son sujet avec l’Union européenne, l’avenir du « dossier européen » est marqué par l’incertitude.
Pour constructionromande, il est important que la Suisse conserve son autonomie dans la définition et la gestion des mesures d’accompagnement. Seule la confiance dans les instruments de protection du marché du travail suisse et des conditions de travail locales est à même d’assurer un soutien populaire pérenne à l’ALCP et à la voie bilatérale dans son ensemble.
[1] www.parlement.ch: objet 15.088 – Mesures en matière de lutte contre le travail au noir (Loi) : délibérations au Conseil des Etats, 06.03.2017.
[2] SECO (2024) : Rapport LTN 2023
[3] HES-SO Valais, Institut Entrepreneuriat et Management (2017) : Causes du chômage hivernal dans le secteur principal de la construction (SPC) en Valais.
Priorité
- Refuser toute remise en cause fondamentale des mesures d’accompagnement liées à l’ALCP, des aménagements ponctuels demeurant envisageables (simplifications qui améliorent l’efficience des mesures d’accompagnement et/ou renforcement de ces dernières).
- Améliorer le cadre légal habituel de la RHT dans le domaine de la construction afin de mieux tenir compte des spécificités du secteur (aspects conjoncturels, fluctuations saisonnières des carnets de commandes, retards de chantiers en raison d’oppositions de tiers ou d’imprévus).
- Développer le dispositif et les moyens des partenaires sociaux pour agir en cas de non-respect des règles (carte professionnelle, autoriser l’arrêt des chantiers à titre provisionnel, etc.).
- Un renforcement des sanctions en cas de dumping, travail au noir et sous-traitance non maîtrisée. La capacité des prestataires à effectuer leurs mandats avec leur propre personnel doit être plus rigoureusement exigée et vérifiée.
Autres mesures
- Veiller à ce que le cadre légal permette aux partenaires sociaux de déployer une carte professionnelle au niveau national, dans les régions qui le souhaitent. Celle-ci serait distribuée aux travailleurs de la construction pour faciliter et accélérer le contrôle du respect des règles (obligation d’annonce à la caisse de compensation, aux services cantonaux compétents en matière d’emploi et de protection des travailleurs, ainsi qu’aux autorités fiscales). La qualité et la fiabilité des données synthétisées dans la carte doivent être assurées ; il s’agit d’éviter que la carte ne soit qu’un exercice alibi.
- Fixer le délai du devoir d’annonce avant le premier jour de la prise d’emploi dans le secteur de la construction.
- Les modalités d’annonce doivent être simplifiées et centralisées grâce aux moyens de communication actuels (par exemple par une inscription sur une plateforme informatique) et en créant un seul point d’entrée auprès de la caisse de compensation pour l’inscription des travailleurs.